Sujet :

Art et poésie

Atil
   Posté le 09-01-2007 à 18:25:55   

Housman a dit :
"Je ne peux me convaincre de l'existance d'idées poétiques .... La poésie n'est pas dans ce qui est dit mais dans la façon de le dire."

Qu'en pensez-vous ?
La poésie (et même l'art en général) n'est-elle donc qu'une chose superficielle ou la forme extérieure compte plus que le fond ?
Lubie
   Posté le 09-01-2007 à 20:21:21   

As-tu vraiment compris ce que disait Housman, Vieil Homme ? Toute la perspective qu'il ouvre par ces simples mots : "La poésie n'est pas dans ce qui est dit mais dans la façon de le dire." ?

Cela ne réduit pas la poésie à une forme extérieure, qui serait plus importante que le fond. Il exprime là l'essence même de la recherche poétique où le fond et la forme tendent à s'harmoniser.

Housman ne dit pas que la poésie réside dans la façon de dire ; il dit que la poésie est dans la façon de dire ce que l'on a à dire.

C'est incroyablement simple, vaste et juste, selon moi.

Non il n'y a pas d'idées poétiques ; il y a, dans le meilleur des cas, des états, des recherches poétiques.
Atil
   Posté le 09-01-2007 à 20:52:41   

S'il n'y a pas d'idées poétiques, alors qu'est-ce que la poésie essaie d'exprimer ? Quel est le contenu qu'on peut trouver sous l forme ?
C'est quoi les "états poétiques", les "recherches poétiques" si ce ne sont pas des idées ?
Lubie
   Posté le 09-01-2007 à 21:10:35   

Difficile de répondre, puisque l'on est dans le domaine du sensible et de l'intime.
Bon, quand je regarde le ciel étoilé la nuit, par exemple, ou l'océan, ou quelque chose qui me touche profondément, je n'ai pas forcément d'idées dans ce moment de contemplation, je n'en ai pas besoin non plus. Je suis dans un état où il n'y a pas de mots ni de pensées qui m'encombrent l'esprit…
Le poète peut tenter d'exprimer ce sentiment, cet état ou le rechercher.
Atil
   Posté le 09-01-2007 à 22:34:20   

On pourrait donc dire que la poésie exprime plus le sentiment, et la sensation que l'idée.
Mais qu'est-ce exactement qu'un sentiment ? Est-ce une simple émotion ? Est-ce une idée trop abstraire ou encore trop vague pour pouvoir être appelée "idée" ?


"quelle importance que ce soit dans la règle de la rime, de l' Alexandrin, du quatrin ou du sonnet !"

>>>>>Mais à quoi reconnait-on la poésie d'un simple texte en prose si sa forme ne compte pas ?
PizzaMan
   Posté le 10-01-2007 à 02:41:24   

La poésie ne me touche pas, et ne m'a jamais vraiment touché. Ça m'échappe totalement, et pourtant je reconnais une certaine valeur en la poésie.
Lubie
   Posté le 10-01-2007 à 08:00:16   

On pourrait donc dire que la poésie exprime plus le sentiment, et la sensation que l'idée.

Cela est vrai pour une certaine forme de poésie, celle que l'on appelle lyrique et qui tend à traduire l’univers intime, affectif et indicible du « moi ».
On distingue généralement la poésie lyrique (qui est l'expression des sentiments) et la poésie engagée (qui est l'expression des idées, souvent politiques).

Mais qu'est-ce exactement qu'un sentiment ? Est-ce une simple émotion ? Est-ce une idée trop abstraire ou encore trop vague pour pouvoir être appelée "idée" ?


Non un sentiment n'est pas une émotion, ce n'est pas non plus une idée trop abstraite pour pouvoir être appelée idée. Le sentiment comme l'émotion appartient au domaine affectif et il est un état relativement durable. L'amour, la mélancolie, la haine … sont des sentiments. La joie, la peine, la colère… sont des émotions.

"quelle importance que ce soit dans la règle de la rime, de l' Alexandrin, du quatrin ou du sonnet !"
>>>>>Mais à quoi reconnait-on la poésie d'un simple texte en prose si sa forme ne compte pas ?


La forme fixe du texte poétique a eu toute son importance jusqu'à la fin du XIXe siècle ; il était alors inconcevable d'écrire de la poésie en vers libre . C'est avec Apollinaire que l'on commence à libérer le texte poétique des contraintes formelles et le XXe siècle produira une poésie épurée, fragmentée… qui tendra à traduire le sentiment du poète dans un monde de plus en plus "inquiet" et sans repère.
On ne distingue pas toujours clairement, avec la poésie du XXe siècle, la prose de la poésie. Ce sont alors dans les phénomènes de reprises et de rythme notamment, de répétitions, que l'on parvient à dégager l'effet poétique d'un texte.

La forme compte autant que le fond, quel que soit le texte et il n'est pas judicieux de dissocier les deux. Mais je suis d'accord avec Housman qui dit que la poésie se trouve dans la façon de dire ce que l'on a à dire. Avec cette définition, on ne distingue pas la forme du fond, on tend plutôt à dégager les effets poétiques d'un texte. On voit alors qu'il y a de la poésie chez Celine, par exemple, comme il n'y en a aucune dans un mode d'emploi.
Atil
   Posté le 10-01-2007 à 08:19:46   

"L'amour, la mélancolie, la haine … sont des sentiments. La joie, la peine, la colère… sont des émotions."

>>>>>Je ne vois aucune diférence. Pour moi l'amour, la mélancolie et la haine sont également des émotions. Ou alors veux-tu parler d'une opposition entre un ressenti pnctuel et un ressenti chronique, plus étendu dans le temps ? Le colère éclate et dure peu ... alors que la haine ou le ressentiment en sont une version durable.



"La forme fixe du texte poétique a eu toute son importance jusqu'à la fin du XIXe siècle ; il était alors inconcevable d'écrire de la poésie en vers libre . C'est avec Apollinaire que l'on commence à libérer le texte poétique des contraintes formelles et le XXe siècle produira une poésie épurée, fragmentée… qui tendra à traduire le sentiment du poète dans un monde de plus en plus "inquiet" et sans repère."

>>>>>>J'ai l'impression que ca traduit surtout la paresse croissante des hommes ainsi que leur fuite de la difficulté. C'est la même chose avec la peinture abstraite.



"On ne distingue pas toujours clairement, avec la poésie du XXe siècle, la prose de la poésie. Ce sont alors dans les phénomènes de reprises et de rythme notamment, de répétitions, que l'on parvient à dégager l'effet poétique d'un texte."

>>>>>Comme dans la musique.
Mais dans les contes pour enfants il y a aussi ds phénomènes de reprises et de rythme. On ne les classe pourtant pas dans la poésie.
Aparemment ce serait donc surtout ce qu'on cherche à exprimer qui définit la poésie.



"On voit alors qu'il y a de la poésie chez Celine, par exemple, comme il n'y en a aucune dans un mode d'emploi."

>>>>>>Mais si on écrivait un mode d'emploi en vers, ce ne serait pas de la poésie.


D'un autre coté, si j'écris un texte en prose afin d'essayer de faire ressentir mes états d'âme (faire ressenrir et non expliquer), pourra-t-on dire que c'est de la poésie ?
Lubie
   Posté le 10-01-2007 à 08:39:22   

Je réponds brièvement parce que je file au boulot !

- On distingue les sentiments des émotions en fonction de leur durée, il est vrai. Ainsi le sentiment devient un état parce qu'il s'inscrit dans le temps. L'émotion est ponctuelle ; elle est un ressenti éphémère face à une situation.

- Ce que l'on observe dans la poésie du XXe siècle s'observe également dans l'art pictural. Je ne sais pas si c'est aussi simple que tu le dis "traduire la paresse progressive des hommes ainsi que leur fuite de la difficulté". Je crois que le XXe siècle est riche en désillusions et les artistes traduisent cette désillusion. Il y a tout un courant poétique né, à partir de la 2e guerre mondiale, qui tend à rejoindre la philosophie et à annoncer le renouveau de l'humanisme. Il ne s'agit pas alors de fuir la difficulté mais à mettre en mots la faillite d'un système de pensée, basé sur la raison.

- La poésie et le conte sont liés de part leur tradition orale. C'est la raison pour laquelle, je crois, tu vois une proximité très juste entre les deux. Mais de même qu'on n'enferme pas l'art dans une définition fixe, on ne peut pas non plus réduire la poésie à une définition. Les phénomènes de répétitions sont seulement un aspect de la poésie, mais ils ne sont pas la Poésie, et oui la poésie réside aussi dans ce que l'on a à dire et la façon dont on le dit.

- Certains poètes se sont amusés à écrire des textes poétiques selon la "méthode" du mode d'emploi : Ponge, Prévert, Queneau, Guillevic. Comme la poésie devient absolument libre, au XXe siècle, elle a pu donner naissance à tout un tas d'exercices de style qui rendent encore plus difficiles la définition de la poésie.

- Oui je crois que si tu écris un texte en prose afin de faire ressentir tes états d'âme et si tu parviens à toucher le lecteur, on pourra dégager des effets poétiques dans ton texte. La poésie n'est pas un univers hermétique, comme l'aurait voulu Mallarmé, la poésie c'est aussi les petites choses parfois indicibles du quotidien et l'expression de ces choses, que l'on parvient à faire passer.
Atil
   Posté le 10-01-2007 à 09:19:35   

Essayons de rassembler nos idées...

Peut-être est-il difficile de définir la poésie car elle sepose sur deux aspects qui ne vont pas toujours ensembles : le fond et la forme.
Dans la poésie au sens le + classique, le fond c'est un sentiment à exprimer. Et la forme est une forme artistique appelée "vers".

Au contraire, dans les textes non-poétiques, le fond est une idée, une description (explication scientifique, narration journalistique, mode d'emploi, etc...) et la forme est un texte en prose.

Entre la poésie et la prose il y a différents intermédiaires qui mélangent différemment le fond et la forme :

Le fond peut être un sentiment alors que la forme est de la prose. On a alors de la "prose lirique" ou des "vers libres".

Le fond peut être une idée et la forme versifiée. On a alors l'équivalent du mode d'emploi en vers, dont on parlait tout à l'heure. Je ne sais pas trop quel nom denner à ce genre de texte. C'est une sorte de texte non-pétique versifié. (En Inde on metttait souvent les textes scientifiques en vers afin de pouvoir les apprendre + facilement par coeur).

En mélant différemment les 2 sortes de fonds et les 2 sortes de formes, on obtient donc 4 types de textes possibles.
zorglub
   Posté le 10-01-2007 à 11:08:44   

Joli débat. La poésie ne m'a jamais autant interessée.
Atil
   Posté le 10-01-2007 à 11:27:40   

Il y a aussi les poèmes haïkus japonais qui essaient de faire ressentir un état d'âme en quelques vers trés courts.
Avant je faisais des peintures à l'huile représentant des paysages - états d'âme. J'essayais d'y exprimer un état d'esprit, une athmosphère, une sensation globale que je j'avais ressenti un jour en mélant ce que j'avais vu, entendu, senti, réprouvé. Pas facile à expliquer avec des mots. Peut-être était-ce de la poésie en image ?

Pour moi l'art sert à exprimer les choses de manière globale, en les faisant ressentir plutôt qu'en les expliquant analytiquement. Je me demande donc si la poésie ne doit servir qu'à exprimer des sentiments. Ne peut-elle pas aussi faire comprendre des idées de manière globale et synthétique ? C'est ,me semble t-il, ce que font certains sages en faisant comprendre certaines choses en quelques mots percutants (comme Jésus avec ses paraboles) au lieu d'utiliser de longues explications. C'est peut-être aussi ce qu'esssaie de faire le zen en utilisant des "koans" (petites énigmes paradoxales).
PizzaMan
   Posté le 10-01-2007 à 12:10:37   

«Ne peut-elle pas aussi faire comprendre des idées de manière globale et synthétique ?»...


<o> D'une part, tu parles de sentiments à exprimer. Quel rapport entre la synthèse logique et cette forme d'expression qui n'a pourtant rien à voir avec la logique ?
Lubie
   Posté le 10-01-2007 à 12:34:46   

Atil a écrit :

Il y a aussi les poèmes haïkus japonais qui essaient de faire ressentir un état d'âme en quelques vers trés courts.
Avant je faisais des peintures à l'huile représentant des paysages - états d'âme. J'essayais d'y exprimer un état d'esprit, une athmosphère, une sensation globale que je j'avais ressenti un jour en mélant ce que j'avais vu, entendu, senti, réprouvé. Pas facile à expliquer avec des mots. Peut-être était-ce de la poésie en image ?

Pour moi l'art sert à exprimer les choses de manière globale, en les faisant ressentir plutôt qu'en les expliquant analytiquement. Je me demande donc si la poésie ne doit servir qu'à exprimer des sentiments. Ne peut-elle pas aussi faire comprendre des idées de manière globale et synthétique ? C'est ,me semble t-il, ce que font certains sages en faisant comprendre certaines choses en quelques mots percutants (comme Jésus avec ses paraboles) au lieu d'utiliser de longues explications. C'est peut-être aussi ce qu'esssaie de faire le zen en utilisant des "koans" (petites énigmes paradoxales).


Ce que tu dis est très intéressant car plusieurs grands poètes du XXe, malheureusement méconnus puisque la poésie n'est plus aujourd'hui à son heure de gloire, se sont tournés vers l'expression épurée du sentiment et donc vers le haïku (je pense notamment à Philippe Jaccottet qui est un très grand poète d'inspiration japonaise).
Il faut bien comprendre que le travail sur la langue au XXe traduit la volonté d'épurer la poésie au maximum et coïncide avec le refus d'user d'une langue rationnelle. Beaucoup de poètes en effet se méfient des systèmes linguistiques logiques car le XXe siècle, symbolise pour eux la chute de la raison. Ils cherchent à exprimer alors par le détour leur univers intérieur, fait de sentiments, d'émotions et de sensations, dans une langue libérée de ses contraintes formelles et réduite à l'essentiel. On ne retrouve plus de ponctuation par exemple dans nombre de poèmes du XXe siècle et l'expression de soi ne donne généralement plus lieu à de grandes envolées lyriques comme pouvaient le faire les poètes romantiques du XIXe siècle. On parle souvent d'écriture du désastre ou d'écriture du soupçon, notamment après la Shoah souvent cité comme symbole de l'échec de la pensée cartésienne occidentale..
Cela témoigne d'une profonde méfiance qui s'observe, au XXe siècle, dans plusieurs sphères de l'activités humaines, dans la poésie et l'art en général.
PizzaMan
   Posté le 10-01-2007 à 12:56:13   

«Je réponds brièvement parce que je file au boulot !»



Lubie
   Posté le 10-01-2007 à 12:57:34   

Moi je viens de rentrer !
Lubie
   Posté le 10-01-2007 à 13:49:24   

Le personnage en illustration est délicieusement ridicule.

Correspond-il à l'image que tu te fais du poète ?
Atil
   Posté le 10-01-2007 à 14:26:29   

"Quel rapport entre la synthèse logique et cette forme d'expression qui n'a pourtant rien à voir avec la logique ?"

>>>>>Je n'ai pas parlé de synthèse logique mais seulement d'exprimer les choses de manière synthétique, globale..
L'hémisphère cérébral gauche exprime les choses analytiquement, c'est à dire séquentiellement, (n les "démontant" par déduction. Il est rationnel.
L'hémisphère droit exprime les choses synthétiquement, globalement et use plutôt de symboles et de comparaisons et associations d'idées. Il est poétique.
Le linguiste Jakobson parle aussi de pôles métonymiques et métaphoriques.
tayaqun
   Posté le 30-01-2007 à 11:48:02   

Zorglub: "Joli débat. La poésie ne m'a jamais autant interessée."

Les derniers poètes sont disparus. Je me souviens d'une époque où il y avait (le samedi?) une émission poétique...

Quand on veut aller quelque part, on peut emprunter des chemins différents. Pour expliquer une idée, je peux pourner tout autour, en espérant en faire le tour... mais je peux sortir une allégorie, des symboles, voire une parabole qui fera passer un message. Je suis très impressionné par les paraboles...
La poésie, c'est la vie en quelques mots... (Maux?)
Qui parle mieux de la prison que Verlaine dans "le ciel est par dessus le toit, si bleu, si came..."? Preuve que la poésie n'est pas la maîtrise du vide...
Qui parle mieux du loup, de son massacre, de sa tendresse et du modèle qu'il inspire que Vigny? "Il s'est jugé perdu puisqu'il était surpris, sa retraite coupée et tous ses chemins pris. Alors, il a saisi dans sa gueule brûlante du chien le plus hardi la gorge pantelante, et n'a pas déserré ses mâchoires de fer malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair et nos couteaux aigus, qui comme des tenailles, se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles.." On en a le goût du sang dans la bouche...
Vous avez des enfants? Faîtes-leur lire des contes, et éveillez-les à la poésie.