Sujet :

Pourquoi l'amour est-il « platonique » ?

Ase
   Posté le 31-10-2010 à 09:34:31   

La définition qu'on associe aujourd'hui à « l'amour platonique » n'a pas grand chose à voir avec ce que théorisait le philosophe Platon.

Le texte qui suit est celui de Juliet Lapidos écrit pour Slate.com.

Dans sa rubrique « rencontres », le site Craiglist comporte une catégorie « relations platoniques », dont les quelques annonces pudiques ( « On se fait un ciné ? » ) sont bien moins nombreuses et ludiques que dans les catégories plus coquines ( « En matière de sexe, j'ai beaucoup d'envies et de besoins » ). Depuis que j'ai entamé une enquête sur l'amitié entre hommes et femmes, j'ai souvent recours au qualificatif « platonique », et toujours dans le sens d'abstinence charnelle. J'imagine que la plupart des gens l'entendent aussi dans ce sens. Mais comment en est-on venu à associer le philosophe Platon à ce lien dépourvu de dimension physique ?

Le grand savant florentin Marsile Ficin utilise l'expression latine amor platonicus dès le 15e siècle, en référence au Banquet de Platon , dans lequel Socrate décrit l'ascension qui peut être faite depuis le désir inférieur jusqu'à la vénérable contemplation. Une «échelle» pourrait ainsi être gravie, depuis l'amour pour un beau corps jusqu'à l'amour pour la Beauté en elle-même, en passant par les degrés de l'amour pour tous les beaux corps, de l'amour pour la beauté des lois, et de l'amour pour la beauté des connaissances.

Ficin va christianiser le concept , faire de la Beauté suprême une expression de Dieu, en énonçant que le véritable amour est celui qui lie l'une à l'autre deux âmes divines : « [La] passion de l'amant ne peut être assouvie par le simple toucher ou la simple vue du corps, car ce n'est pas tel ou tel corps qu'elle désire, mais la splendeur de la lumière divine qui émane du corps, qui l'émerveille et la subjugue » .

De l'amour platonique masculin à l'amour platonique mixte

Le Banquet évoque cependant des relations entre hommes, pas entre hommes et femmes : le « beau corps » socratique est celui d'un jeune garçon . Bien que Ficin condamne l'homosexualité pour n'être pas naturelle, il estime néanmoins que la chaste amitié masculine est la plus adaptée à l'ascension de l'échelle divine .

Mais alors que sa pensée sur l'amour platonique se diffuse en Europe, c'est la femme qui devient l'inspiratrice du désir spirituel . Le néo-platonisme rencontre là la tradition de l'amour courtois, qui fait de la femme un objet de culte pour l'homme. Cet amour platonique hétérosexuel n'est pas de l'amitié, c'est un lien romantique (mais non charnel) qui glorifie les bienfaits de la chasteté face à la passion sensuelle. L'amant platonique vénère en la femme son âme, pas son corps .

Quand l'expression « amour platonique » apparaît dans la langue anglaise, vers 1630, le néo-platonisme est déjà une lubie à la cour royale. En 1634, l'écrivain James Howell écrit ainsi : « Il ne se passe pas grand-chose à la Cour, si ce n'est que depuis peu, on y parle avec ardeur d'un amour qualifié de "platonique"; c'est un amour débarrassé de tout sentiment physique scabreux et de tout appétit sensuel, qui s'épanouit dans la contemplation et le monde des idées » . Dans une pièce satirique de 1636, Les Amants platoniques , Sir William Davenant tourne cette mode en dérision pour en dénoncer la prétention. L'intrigue oppose la relation éthérée et spirituelle de Theander et Eurithea au lien plus ordinaire, plus physique de Phylomont et Ariola. À la fin de la pièce, Theander prend un remède qui le « guérit » de sa chasteté, et il peut alors vivre une relation plus « naturelle » avec Eurithea.

Spirituel = non physique

Peu à peu, la dimension divine de l'amitié platonique s'estompe, jusqu'à ce que le terme « spirituel » ne signifie plus que « non physique » . À la moitié du 18e siècle, « l'amour platonique » désigne donc essentiellement une relation intense mais sans sexe, d'où Dieu a disparu . Dans un roman publié en 1742, Joseph Andrews , Henry Fielding écrit de ses deux protagonistes : « S'ils se découvraient réellement frère et sœur, ils feraient vœu de célibat perpétuel, et de vivre ensemble jusqu'à la fin de leurs jours, liés l'un à l'autre par une amitié platonique » .

Sous cette nouvelle acception, un amour peut être qualifié de « platonique » même si le désir y est présent. En ce sens, c'est l'impossibilité de la relation, pour quelque raison que ce soit, qui impose l'adjectif . Dans sa Biographical History of Philosophy de 1846, George Henry Lewes note ainsi : « Voici l'illustre Amour platonique, lequel, après avoir désigné à l'origine la communion de deux âmes, et ce dans un sens dialectique très strict, en a été réduit à l'expression d'un bête sentimentalisme entre les sexes. Autrefois, l'amour platonique était une affinité idéale ; c'est aujourd'hui l'amour d'un jeune homme sentimental pour une femme qu'il ne peut ou ne veut épouser » .

Une relation « platonique » s'entend maintenant comme une relation sans sexe ou sans intérêt pour la chose ; pas comme un lien spirituel, ni comme un amour courtois ou une histoire contrariée. Et il n'est pas rare que le terme soit employé avec un certain mépris, voire un certain scepticisme.

En 2003, le blog Word Detective, en réponse à une question sur l'origine du mot, expliquait que depuis son apparition dans la langue anglaise, « nombreux sont ceux qui affirment vivre une relation "uniquement platonique". Bien sûr, cela est presque toujours un mensonge » .
TaoTheKing
   Posté le 31-10-2010 à 10:18:58   

Ase a écrit :

Une relation « platonique » s'entend maintenant comme une relation sans sexe ou sans intérêt pour la chose ; pas comme un lien spirituel, ni comme un amour courtois ou une histoire contrariée. Et il n'est pas rare que le terme soit employé avec un certain mépris, voire un certain scepticisme.


Content de voir que Juliet partage, comme tout le reste de la population mondiale, la définition de spirituel avec le Larousse.
Atil
   Posté le 31-10-2010 à 10:31:33   

le texte montre bien comment un mot peut changer de sens selon les époques.
Ou selon les écoles de pensée.
TaoTheKing
   Posté le 31-10-2010 à 10:44:12   

Atil a écrit :

le texte montre bien comment un mot peut changer de sens selon les époques.
Ou selon les écoles de pensée.


Tu reconnais donc implicitement que donner un sens religieux au mot spiritualité est juste.


Edité le 31-10-2010 à 11:03:57 par Ase


Ase
   Posté le 31-10-2010 à 11:03:39   

Tao a écrit :

Tu reconnais donc implicitement que donner un sens religieux au mot spiritualité est juste.


Comme je te l'ai déjà expliqué, la définition de la spiritualité est soumise à plusieurs sens : d'une part il y a la définition de la spiritualité et d'autre part il y a la définition théologique de la spiritualité. Ceci n'importe quel dictionnaire philosophique l'explique.
Atil
   Posté le 31-10-2010 à 11:05:34   

Sans compter que le sens du mot "spiritualité" a pu changer au cours des siècles.
TaoTheKing
   Posté le 31-10-2010 à 11:32:41   

Donc, associer la spiritualité à la religion n'est pas une erreur. C'est juste une option choisie, comme d'autres peuvent en choisir une autre.
Ase
   Posté le 31-10-2010 à 12:15:48   

Tao a écrit :

Donc, associer la spiritualité à la religion n'est pas une erreur. C'est juste une option choisie, comme d'autres peuvent en choisir une autre.


Comme je te l'ai déja expliqué Tao:
Selon l'approche théologique de la spiritualité (synonyme de religieux), la spiritualité s'applique à la vie de l'âme en tant qu'elle est orientée vers Dieu.
De plus l'être humain étant aussi un animal métaphysique, il faut prendre en compte l'aspect représentatif métaphysique de la conception de la spiritualité.



Atil a écrit :

Sans compter que le sens du mot "spiritualité" a pu changer au cours des siècles.


Tout à fait.
Aujourd'hui, selon l'approche moraliste de la spiritualité, la spiritualité est la doctrine qui affirme la primauté de l'esprit sur la matière et des valeurs morales comme constituant la fin propre de l'activité humaine, et selon l'approche psychologique de la spiritualité, la spiritualité est une conception selon laquelle les représentations, les opérations intellectuelles, les actes de la volonté sont irréductibles aux phénomènes physiologiques.

D'autre part, si on veut être plus rigoureux, il n'y a pas une spiritualité mais des spiritualités.
TaoTheKing
   Posté le 31-10-2010 à 12:41:22   

Sinon, quelle est l'interrogation, le débat souhaité sur le sujet?
Ase
   Posté le 31-10-2010 à 15:33:35   

C'est dans le sujet : pourquoi parle-t-on d'amour platonique ?
TaoTheKing
   Posté le 31-10-2010 à 15:38:08   

Ase a écrit :

C'est dans le sujet : pourquoi parle-t-on d'amour platonique ?


La réponse est également dans le sujet.
Atil
   Posté le 31-10-2010 à 17:12:45   

Le fil conducteur, depuis Platon, me semble être "qui a trait plus au monde des idées qu'au monde physique".

Personne ici n'a jamais connu d'amour platonique ?
TaoTheKing
   Posté le 31-10-2010 à 17:56:16   

L'amour platonique, d'après ce que vous dites, est soit un amour sans relations sexuelles par choix ou impossibilité physique, ou un amour de quelque chose qui n'est pas matériel.
Une chose non matériel, par exemple et non religieux: des idées.

On peut dire qu'on aime une idée. Mais est-ce de l'amour qu'aimer une idée? Je ne le pense pas. L'amour nécessite une matérialisation. Mais l'amour, ce n'est ni la passion, ni le fanatisme.
On peut mourir pour une idée, mais ce n'est pas par amour.

Quand à l'amour sans relation sexuelle, cela m'est arrivé, mais parce qu'il n'y avait pas réciprocité.


Edité le 31-10-2010 à 18:26:26 par Ase


PizzaMan
   Posté le 01-11-2010 à 10:51:20   

«Personne ici n'a jamais connu d'amour platonique ?»...

<o> Moi si, mais c'était malsain. Et il me semble que l'amour platonique est un concept romantique désuet dans le monde dans lequel nous vivons. Pas compatible...
Atil
   Posté le 01-11-2010 à 22:18:18   

Pour moi un amour platonique consiste à avoir des relations non pas au niveau du monde physique mais au niveau du monde des idées. C'est échanger des memes plutôt que des genes en quelque sorte.
C'est une relation intellectuelle et non pas sexuelle.
Pendant des disaines d'années j'ai rêvé de connaitre un amiur platonique; d'abord par idéalisme, ensuite par curiosité, puis parceque ca correspobdait bien à mon aspect cérébral.
Finalement j'ai pu connaitre un amour platonique.
Et je n'échangerai pas cette expérience contre 10 amours physiques.
PizzaMan
   Posté le 02-11-2010 à 00:42:02   

C'est bien joli tout ça. Était-ce seulement de l'amour «platonique» ?

Mais on peut échanger des mèmes avec tout le monde, pas forcément avec une gonzesse pour laquelle tu kiffes. Surtout si le sexe est tout à fait exclus. Je ne comprends pas pourquoi tu appelles ça de l'amour, du coup. Il est question d'échange cérébral selon toi, pas de sentiments. Comment fais-tu pour en déduire qu'il y a de l'amour?
Atil
   Posté le 02-11-2010 à 08:16:16   

Parceque, en plus, il y a quand même des sentiments.
Mais pas de désir physique.
TaoTheKing
   Posté le 02-11-2010 à 08:21:17   

C'est comme l'amitié alors?
Atil
   Posté le 02-11-2010 à 08:30:28   

Je ne ressent pas le même type de sentiments pour mes amis que pour mes amours.
Idem pour les enfants et les parents.

Si on retire les sentiments, je suppose que l'amour platonique se mue en simple amitié.
TaoTheKing
   Posté le 02-11-2010 à 10:44:03   

Si tu n'as aucun sentiment pour tes amis, alors ce ne sont pas des amis mais des potes.
Il y a des nuances.
PizzaMan
   Posté le 02-11-2010 à 10:47:49   

J'ai du mal à suivre...
tayaqun
   Posté le 02-11-2010 à 17:05:56   

amour de l'ami: agape, il y a réciprocité.
amour platonique: sensation purement cérébrale il n'y a pas forcément réciprocité.
amour courant: j'ai bien aimé l'échange de mèmest et de gènes, il y a réciprocité prolongée
et la nique, pour la niquedouille... il n'ya réciprocité que des fluides.
TaoTheKing
   Posté le 02-11-2010 à 17:13:29   

Le lien entre l'ami et LES agapes est erroné.
Quant à l'éventuelle erreur de frappe, agapé, c'est encore pire: L'ami devient le divin.

A coup sur des méprises linguistiques.
Atil
   Posté le 03-11-2010 à 08:36:49   

"Agapé" est un mot qui a eu plusieurs sens.
Pour les anciens Grecs il désignait une forme d'amour.
Ensuite il a pris un sens chrétien.
PizzaMan
   Posté le 03-11-2010 à 22:29:38   

D'accodac avec Tayaqun et Atil. CQFD!
Ase
   Posté le 04-11-2010 à 00:21:01   

Récemment, on a pas montré qu'il y avait deux circuits différents dans notre cerveau, l'un correspondant à l'agapé et l'autre à l'eros ?
Atil
   Posté le 04-11-2010 à 09:03:07   

Je ne sais pas.
Mais ce serait logique.
Dans l'évolution des animaux, il me semble que l'eros est antérieur à l'agapé.
Hors l'homme est capable des deux.
On peut donc en conclure qu'il a existé une structure cervicale pour l'eros, puis qu'une autre, spécialisée dans l'agapé, s'est ajoutée ensuite