Sujet :

Le sage et le héros socratique

Ase
   Posté le 12-01-2010 à 00:45:03   

Dans le Cratyle 398a, Socrate et Hermogène dialoguent :

SOCRATE : Ne serait-il pas juste de commencer par les dieux, et de considérer quelle peut être la raison de ce nom de dieux qu’on leur donne ?

HERMOGÈNE : Peut-être bien.

S : Voici ce que je soupçonne. Je crois que les anciens habitants de la Grèce ne reconnaissaient d’autres dieux (comme aujourd’hui une grande partie des Barbares) que le soleil, la lune, la terre, les astres et le ciel ; et qu’observant leur mouvement et leur course perpétuelle, ils les auront appelés dieux, d’après cette propriété de courir; et que ce nom s’étendit par la suite aux nouvelles divinités qu’ils reconnurent. Ce que je te dis là te semble-t-il probable ?

H : Très probable.

S : Et maintenant de quoi nous occuperons-nous ?

H : Régulièrement, ce doit être des démons, des héros et puis des hommes.

S : Des démons d’abord. Quel peut être le vrai sens de ce nom, Hermogène ? Vois si ma conjecture te paraît juste.

H : Parle.

S : Ne sais-tu pas quels étaient ces démons, suivant Hésiode ?

H : Je ne me le rappelle pas.

S : Et que, selon lui, la première race des hommes a été la race d’or ?

H : Pour cela, je m’en souviens.

S : Hésiode nous dit à ce sujet : Or, depuis que la Parque a caché cette race d’hommes, Ils sont appelés démons, habitants sacrés des régions souterraines, Bienfaisants, tutélaires, gardiens des mortels.

H : Oui, eh bien ?

S : D’abord, je ne pense pas qu’il veuille dire que cette race d’or fut véritablement formée d’or, mais plutôt qu’elle était bonne et vertueuse : et la preuve que j’en donne, c’est que nous-mêmes il nous appelle race de fer.

H : Tu as raison.

S : Ne crois-tu pas que si Hésiode voyait quelqu’un de bon parmi les hommes de nos jours, il le mettrait parmi la race d’or ?

H : Je le crois.

S : Et les bons sont-ils autre chose que des sages ?

H : Ce sont des sages.

S : Or c’est là surtout, suivant moi, ce que sont les démons pour Hésiode : s’il les a ainsi appelés, c’est parce qu’ils étaient sages et intelligents; c’est un terme de notre ancienne langue grecque. Hésiode a donc bien raison, lui et beaucoup d’autres poètes, lorsqu’ils disent qu’à la mort, l’homme sage entre en possession d’une haute et noble destinée, et devient démon ; c’est la sagesse qu’exprime cette dénomination. Et moi, à mon tour, comme je tiens tout homme bon pour sage, je dis que durant sa vie, comme après sa mort, il est au rang d’un démon, et que ce nom lui appartient à juste titre.

H : Je partage tout-à-fait ton sentiment, Socrate. Et maintenant, qu’est-ce que le héros ?

S : Cela n’est pas très difficile à trouver. Ce nom s’est peu éloigné de son origine, et il indique clairement la race de l’amour.

H : Comment cela ?

S : Ignores-tu que les héros sont demi-dieux ?

H : Eh bien ?

S : Or, tous ont dû leur naissance à l’amour, ou d’un dieu pour une mortelle, ou d’un mortel pour une déesse. Tu m’entendras mieux, si tu consultes à ce sujet l’ancienne langue attique. Tu reconnaîtras que pour former le nom des héros, on s’est peu éloigné de celui de l’amour auquel ils doivent la naissance. C’est sûrement là ce que ce nom signifie, à moins de dire que ces héros étaient des savants, de grands rhéteurs, des dialecticiens très habiles à interroger; car εἴρειν signifie parler. De cette manière, comme je l’ai déjà dit, ceux que nous nommons héros se trouvent être, en langage attique, des rhéteurs, d’habiles questionneurs; et ainsi la race des rhéteurs et des sophistes devient pour nous la race héroïque.[....]

ps : mes excuses pour la traduction de ce texte trouvée sur le Net, c'est évidemment pas la traduction des Pléiades...
Atil
   Posté le 13-01-2010 à 09:26:04   

Devenons donc des sages, ainsi nous serons des demi-dieux !
Ase
   Posté le 14-01-2010 à 07:53:16   

Avant Socrate, des philosophes ont essayé d'assimiler les héros à l'amour ?
Atil
   Posté le 14-01-2010 à 10:29:31   

Avant Socrate il n'y avait guère de philosophes, plutôt des proto-physiciens.
Ase
   Posté le 14-01-2010 à 10:58:32   

C'est pas faux, d'ailleurs Socrate l'explique bien.
Socrate a donné à la philosophie une tournure particulière.

Ceci m'a étonné, également, dans le Cratyle, Apollon apparaît comme un dieu très craint, un dieu effroyable.
thersite
   Posté le 14-01-2010 à 12:58:37   

" Dieu nocturne, ténébreux aux aspects terrifiants :
Apollon nocturne est le maître des épidémies, c'est par ce titre que le prêtre l'invoque sous au début de l'Iliade.
C'est Apollon qui frappe la ville de Troie par l'épidémie de la peste mortelle quand son roi Laomédon refuse de payer le salaire convenu à Apollon et à Poséidon, qui ont bâti les remparts de la ville.
Apollon est un dieu de la mort, il envoie la peste pour décimer l'armée des Grecs assiégeant Troie, et les Argiens qui ont provoqué la mort de son fils Linos
Il est le dieu « au Rat » (Apollon Smintheus) qui est, à la fois, celui qui sauve d'une invasion de rats, et l'ami des rats (ou souris), qui entourent, vivants ou figurés, sa statue de culte ; les rats eux-mêmes, appelés gêgeneis, apparaissent tantôt comme destructeurs, tantôt comme sauveurs : ils rongent les cordes des arcs ennemis.
Apollon entretient aussi des rapports privilégiés avec les rampants, les chthoniens, les gêgeneis (nés de la terre) ; il porte le titre de tueur de lézards.
Ses fils médecins, Asklépios le médecin, Aristée médecin purificateur et pourfendeur de serpents et Trophonios sont marqués par leurs complicités avec la terre, ces produits, ses animaux (serpents, lézards, rats, souris, taupes…) et ses puissances mantiques, font dans Apollon lumineux et céleste, la part du noir et ténébreux.
Enfin, Apollon en qualité de médecin, on le représente avec un serpent à ses pieds.

# Dieu violent et dieu de la Mort subite :
Apollon est le dieu « qui frappe de loin » (hekêbolos)
Il peut se montrer impitoyable, intransigeant et cruel comme sa sœur Artémis, capable d’une grande violence ; il est aussi le dieu de la Mort subite.
C'est lui qui transperce de ses flèches le serpent Python à Delphes et il tue le géant Tityos pour défendre sa mère Létô.
Avec sa sœur Artémis il se venge de Niobé en tuant douze de ces enfants, car la dernière a osé de dire qu'elle est plus fertile que leur mère Létô.
Aux hommes et aux animaux, ses flèches apportent la maladie et la mort.
Apollon tue sans pitié avec ses flèches les Cyclopes qui ont forgé la foudre que Zeus utilise pour foudroyer son fils Asclépios, pour avoir ressuscité des morts.
Il tue par ses flèches la mortelle Coronis et pourtant, il portait dans son ventre son fils Asklépios (un autre mythe attribue cette vengeance à Artémis).
Apollon suspend le satyre Marsyas à un arbre et l’écorche vif car il a osé de rivaliser avec lui dans un jeu musical
Pour punir Cassiopée, reine d’Éthiopie, de s’être vantée de surpasser en beauté les néréides, il envoie un monstre marin ravager son pays."
Atil
   Posté le 14-01-2010 à 22:04:22   

Je me demande si l'Appolon qui apporte la peste ne serait pas du à une identification avec une divinité babylonienne comme Nergal.
tayaqun
   Posté le 15-01-2010 à 19:11:05   

Je ne sais pour Nergal même si j'ai déjà rencontré ce dieu au moins en lecture... Ce qui m'intrigue, c'est l'apport de Thersite.

Cohabitation de la Mort et de la Beauté...

Je ne sais pourquoi au juste, j'ai eu Mort et Beauté en tête avec une réminiscence d'un poème "je suis belle ô mortel" ... Baudelaire...

Il y a quoi derrière?
tayaqun
   Posté le 15-01-2010 à 19:14:38   

Je suis belle, ô mortel ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière
Baudelaire
tayaqun
   Posté le 15-01-2010 à 19:15:47   

La beauté glacée...
Mystère du beau?
Ase
   Posté le 30-01-2010 à 12:12:39   

On parle de quel Apollon en lui prêtant cela (la peste) ?
Se pourrait-il que cette fonction de porteur de peste soit dû à un évènement traumatisant dans l'esprit des gens de l'époque (une épidémie de peste par exemple) ?
thersite
   Posté le 31-01-2010 à 14:38:55   

Fin de l'article "mulot" dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

"Il faut qu’ils ayent fait autrefois de furieux dégats à Tenédos, puisque Strabon parle d’un des temples de cette île, dédié par cette raison à Apollon Sminthien. Qui croiroit qu’Apollon eût reçu ce surnom à l’occasion des mulots ? On les a pourtant représentés sur les médailles de l’île, & l’on sait que les Crétois, les Troïens, les Eoliens les appelloient <greek>SMPQOI</greek>. Elien rapporte qu’ils faisoient de si grands ravages dans les champs des Troïens & des Eoliens, qu’on eut recours à l’oracle de Delphes ; la réponse porta qu’ils en seroient délivrés s’ils sacrifioient à Apollon Sminthien.

Nous avons deux médailles de Ténédos sur lesquelles les mulots sont gravés, l’une a la tête radiée d’Apollon avec un mulot, & le revers représente la hache à double tranchant ; l’autre médaille est à deux têtes adossées, le revers montre la même hache élevée, & deux mulots placés tout au-bas du manche. Strabon ajoûte qu’on avoit sculpté un mulot auprès de la statue d’Apollon, qui étoit dans le temple de Crysa, pour expliquer la raison du surnom de Sminthien qu’on lui avoit denné, & que même cet ouvrage étoit de la main de Scopas, ce sculpteur de Paros, si célebre dans l’histoire. (D.J.)"
thersite
   Posté le 31-01-2010 à 14:56:42   

La 1ere fois que j'ai entendu parler d'Apollon Sminthien comme pour beaucoup d'autres éléments de diverses mythologies, c'est dans la "Déesse blanche" de Robert Graves, mais je ne me rappelle plus ce qu'il en dit.
Atil
   Posté le 31-01-2010 à 19:37:02   

De toute façon, dans son livre, Graves délire grave
Atil
   Posté le 31-01-2010 à 19:39:37   

Il me semble qu'il y avait eu une histoire au sujet d'une armée d'invasion qui avait été arrétée par des rats ... c'est à dire par une épidémie de peste. Et on racontait que c'était l'intervention d'Appolon qui avait arrété ainsi cette invasion.