Sujet :

La vraie histoire de la sorcellerie

Atil
   Posté le 25-11-2017 à 11:37:56   

Qui étaient vraiment les sorcières du moyen-âge ? Etaient-elles vraiment des hérétiques qui adoraient le Diable et qui rejetaient Dieu ?
Ou tout cela n’est-il qu’une interprétation tardive de la part des Chrétiens ?

Si nous retournons à l’époque de Rome, on trouve déjà des éléments ressemblant aux sabbats des sorcières.
Ainsi Paculla Annia était une prêtresse de Bacchus en Campanie (sud de l’Italie). Vers 188-186 av.JC, elle aurait présidé à la corruption du culte mystérieux de Bacchus. Les Bacchanales étaient jusqu'alors réservées aux femmes, et c’était des rituels tenus à la lumière du jour, seulement trois jours dans l'année. Paculla Annia les changea en rites nocturnes, augmenta leur fréquence à cinq par mois, les ouvrit à toutes les classes sociales et aux deux sexes. Elle rendit les beuveries et la promiscuité sexuelle obligatoires pour tous initiés. Une fois son enquête terminée sur cette affaire, le Sénat romain a supprimé ce culte bacchique réformé, sauvant Rome de la colère divine et du désastre.

Mais le culte de Bacchus n’était pas le seul qui, chez les Romains, était réservé aux femmes. Il y avait aussi celui des déesses lunaires Diane (divinité de la chasse) et Hécate (divinité de la sorcellerie).
Avec le temps, malgré la christianisation, ce culte de Diane semble avoir perduré en secret. Ses fidèles croyaient qu'elles pouvaient voler les nuits de pleine lune quand Diane était présente. Elles utilisaient pour cela un onguent, contenant probablement un mélange de jusquiame, d'aconit, de belladone, de mandragore, de ciguë, de nénuphar et d'un narcotique (l'aconit produit un rythme cardiaque irrégulier, donnant l'impression de tomber dans le vide, et la belladone entraine le délire). Les femmes qui s'enduisaient le corps de cet onguent entraient en transe et avaient l'impression d'être transportées au sabbat, d'où la légende de l'onguent magique.

Quelques textes illustrent la persistance de ce culte au moyen-âge…

Ainsi Grégoire de Tours (538-594) connait l’existence d’une idole de Diane, prés de Trier, que Saint Vulfolaic a détruite.

En 906, dans le "Canon episcopi", Réginon de Prüm explique ceci :
"Des femmes, par nécessité ou sur commandement, en compagnie d'une armée de démons sous l'apparence de femmes doivent voyager montées sur certains animaux, au cours de nuits particulières et faire partie de leur troupe (…)
Certaines femmes scélérates, retournées dans la suite de Satan, séduites par les illusions et les fantasmes du démon, croient qu'aux heures nocturnes, elles chevauchent des bêtes avec Diane déesse des païens (Diana paganorum dea) et une innombrable multitude de femmes, qu'elles traversent de nombreux espaces terrestres dans le silence d'une nuit profonde, qu'elles obéissent à ses ordres comme à une maîtresse, et qu'elles sont appelées certaines nuits à son service. Qui est alors assez fou ou stupide pour supposer que ces choses qui ont lieu en esprit seulement, se passent également physiquement ?".
Cette Diane était peut-être la déesse lunaire des Romains, ou alors elle pouvait aussi correspondre avec la déesse celtique Dana / Di Ana.

En 1066, dans son "Decretum", l'évêque Burchard de Worms (965-1025) reprend le même texte issu du "Canon episcopi" : " … avec Diane, la déesse des païens… "
Mais une autre main a ensuite ajouté ceci : " … ou avec Hérodiade  (val cum Herodiade)".
Ce personnage d’ Hérodiade vient de l’"Ysengrimus" écrit vers 1150, par Nivard de Gand et qui est un proto-Roman de Renard. Un passage de ce livre parle de Salomé / Hérodiade / Pharaïldis / Pharaïlde, la fille d’Hérode, qui a été la cause de la mort de Saint Jean Baptiste :
"Elle a pour nom aujourd’hui Pharaïldis, elle s’appelait autrefois Hérodiade : danseuse qui n’eut d’égale ni avant elle, ni après elle." (Ysengrimus II : 93-94).
A cause de son méfait, elle avait été condamnée à flotter et à errer sans cesse des les airs.
Raterius de Liegi, évêque de Vérone (890-974), déplorait déjà le fait que beaucoup croyaient qu’Hérodias était une déesse, et il disait qu’un tiers de la population mondiale est sous ses ordres.
Par la suite, en Sardaigne, Hérodias / Herodiade sera connue sous le nom de Aradia / Arada / Araja / Araja dimoniu et sera considérée comme la maîtresse des janas (fées).
A noter que Martin d’Arles (1451–1521) a recopié ce passage du Decretum en écrivant "Vénus" à la place d’"Hérodiade".

Et cette notice a également été rajoutée au "Decretum" :
"Tu as cru qu’il y aurait une femme capable de faire ce que font celles que possède le diable, et qui affirment devoir agir selon une nécessité et un ordre : prenant avec la foule des diables l’apparence d’une femme, celle que la sottise commune appelle Holda doit, certaine nuit, chevaucher des bêtes sauvages et être comptée comme appartenant à la communauté des démons."
Cette Holda / Hulda / Holle correspond à Frigga, l’épouse du dieu germanique Odin / Wotan. C’était la déesse du filage et la protectrice des animaux, des femmes et des enfants.

Dans son "Polycraticus II;17", Jean de Salisbury (1115-1180) ajoute un autre nom de déesse :
" Ainsi, elles (les sorcières) affirment qu'une certaine Noctiluca (ou Nocticula) ou Hérodiade, convoque, comme souveraine de la nuit, des assemblées nocturnes où les assistants festoient, se livrent à toutes sortes de pratiques et où les uns sont châtiés, les autres récompensés, selon leurs mérites."
Ce nom de Noctiluca (la Nocticole / Nocturne) était un épithète attribué jadis à Hécate, déesse de la lune et de la sorcellerie chez les Grecs..

Ugo da San Vittore, un abbé italien du XIIème siècle, décrit des femmes qui croient qu’elles sortent la nuit, chevauchant des animaux en compagnie d’ "Erodiade", qu’il identifie avec les déesses romaines Diane et Minerve

Gervaise de Tilbury (mort en 1235) dit que des femmes, comme celles de la compagnie de Diane, sortent la nuit avec les lamies et volent dans toutes les parties du monde.

Dans "De universo creaturarum" (Sur l'univers des créatures, 1231), Guillaume d’Auvergne (1180-1249) parle lui aussi des Dominas (Dames) ou Dominas nocturnas (Dames nocturnes), et il y ajoute deux nouvelles créatures :
"Il en va de même de l’esprit qui, sous l’apparence d’une femme, visite la nuit, en compagnie d’autres, dit-on, les demeures et les offices. On le nomme Satia, nom venant de Satiété, et aussi Dame Abonde (Domina Abundia) à cause de l’abondance qu’elle confère aux demeures qu’elle aura visitées."

Ensuite, dans le "Roman de la Rose" de Guillaume de Lorris (1235) et Jean de Meung (1277), il est expliqué ceci :
"Bien des gens dans leur folie croient être des estries (= striges = sorcières en italien) errant la nuit avec Dame Abonde / Habonde ("Domina Abundia"). Partout sur la terre, on raconte que les troisièmes enfants d’une famille ont la faculté d’y aller trois fois par semaine, comme le destin les y entraîne. Ils s’introduisent dans toutes les maisons, ne craignant ni clés ni barreaux, et entrant par les fentes, chatières et crevasses. Leurs âmes quittant leur corps suivent la trace des Bonnes Dames, à travers les maisons et les lieux étrangers, et ils le prouvent en disant que les étrangetés auxquelles ils ont assisté ne sont pas arrivées tandis qu’ils étaient dans leurs lits mais que ce sont leurs âmes qui agissent et courent ainsi de par le monde."

Dans le "Speculum morale", attribué faussement à Vincent de Beauvais (1194-1264), il est écrit que certaines "femmes illusionnées" appellent Herodias et Diane les "Bonae Res (Bonnes Choses)".

Au XIIIème siècle, le Dominicain Stéphane de Bourbon (mort en 1261) écrivait que :
"Les Bonae Res (Bonnes choses / Bonnes Dames) montaient sur des bâtons, mais que les Malae Res (Mauvaises choses / Mauvaises Dames) montaient sur les loups."

Le Franciscain Berthold de Ratisbonne (1210-1272) condamnait ceux qui croyaient dans les Dames de la nuit, les Huldens / Holdes (Holda / Bienveillantes) et les Unhuldens / Unholdes (Malveillantes).
Certains parlaient aussi des striga holda (bonnes sorcières) et des striga unholda (mauvaises sorcières).

Dans un texte provenant d’un concile ariègeois de 1281, il nous est raconté que certaines femmes, séduites par Satan, croient qu'au cours de la nuit elles chevauchent des animaux, sous la conduite d'un personnage féminin : Diane, la déesse des païens, ou Hérodiade. Ou bien un nouveau personnage qui apparait pour la première fois : Bensozia. Ce nom proviendrait de "Bona socia", la bonne alliée, la bonne compagne, ou alors de "Bonesozes" qui signifierait "Bonnes choses". Cette déesse apporte la prospérité et ces femmes croient fermement qu’elle les convoque pour qu'elles lui obéissent et marchent à sa suite.

Au 14ème siècle, en Italie, Jacopo Passavanti (1302–1357) mentionne pour la première fois le tregenda (sabbat). Dans sa description, les démons prennent la place des gens à ces réunions, laissant les gens endormis dans leurs lits. Il dit que certaines femmes croient qu’elles voyagent avec cette congrégation et que ses leaders sont Hérodias et Diana.

En 1324, le texte du procès de la sorcière Alice Kyteler dit que celle-ci posséde un bâton (on ne parle pas encore de balais) "sur lequel elle allait à l'amble et au galop, à travers boue et poussière, comme et quand elle en avait fantaisie, après l'avoir graissé de l'onguent qu'on trouva en sa possession."

En 1326, le Pape Jean XXII publie la bulle "Super illius Specula" qui prend au sérieux les prétentions des sorcières alors que jusqu’alors on les prenait pour des illusions diaboliques, sans réalité effective :
"Nous apprenons avec douleur l'iniquité de plusieurs hommes, chrétiens seulement de nom. Ils traitent avec la mort et pactisent avec l'enfer, car ils sacrifient aux démons."

En 1384 et 1390 a lieu à Milan le procès de Sibillia Zanni et Pierina de Bugatis accusées d’hérésie. Celles-ci confessent avoir participé au "Jeu de Diane que vous appellez Herodiade  (Ludum Dianae quam vos appellant Herodiadem) que l’on saluait sous le nom de Madona Horiente / Horiens / Oriente (Dame de l'Orient)" , appelée aussi Signora del Giuoco ("Dame du jeu"). A cette réunion, il y avait des festins, de la musique et des danses.

En 1418, le dominicain Jean Herolt (mort en 1468) dénonce dans ses "Sermones" la croyance suivante :
"Durant la nuit, Diane, appelée en langue vulgaire Unholde (= Méchante, déformation de Holde = Holda), qui est Selige Fraw (Frau Salige = Femme bienheureuse), se déplace avec son armée en parcourant de grandes distances".
Dans l’édition de 1478 et 1484 des "Sermones" sont ajoutés les noms de Fraw Berthe (= Frau Percht / Perchta) et Frau Helt (= Holda). Hors on notera que Perchta, dans le sud de l’Allemagne, est l’équivalent de Holda / Hulda / Holle dans le nord de l’Allemagne. Ce sont deux noms de la déesse germanique Frigga.


En 1392, dans le journal "Le Ménagier de Paris", il est aussi écrit que les femmes refusent de dormir avec des balais dans leurs chambres, de peur qu'on les prenne pour des sorcières. Le mythe du balais volant semble donc avoir commencé à se répendre.

Vers 1399-1430 se forme le stéréotype du sabbat dans les Alpes françaises, plus précisément en Valais et dans les diocèses de Sion et de Lausanne : On prétend que des sorciers et des sorcières volent dans les airs à cheval sur des animaux, des batons ou des balais, et se rassemblent dans un lieu écarté pour participer là à des cérémonies présidées par le Diable qui apparait sous la forme d’un bouc. En fait c'est surtous les Vaudois qui sont visés ... hors ceux-ci ne sont pas des sorciers mais des proto-protestants qui contestent le pouvoir des religieux (l'Église évangélique vaudoise avait été fondée vers 1170). Cela montre comment les autorités ecclésiastiques pouvaient raconter n'importe quoi pour discréditer ceux qu'elles considéraient comme hérétiques.

En 1435, dans le Val d'Aoste, l'inquisiteur franciscain Ponce Feugeyron rédige un traité intitulé "Les erreurs des Cathares, c'est à dire de ceux dont il est prouvé qu'ils chevauchent un balai ou un bâton." Pour les dénigrer, l'Eglise assimile donc les Cathares à des sorciers volant sur des bâtons ou des balais.

Le mot "sabbat" apparait pour la première fois en 1446 dans un procès au parlement de Paris où une sorcière confesse se rendre au sabbat.

En 1451, une illustration du manuscrit du "Champion des dames" (1442) de Martin Le Franc (1410-1461) montre deux femmes volant sur un balais (à noter qu'il n'est pas dit que ce sont des sorcières mais des Vaudoises. > Voir ) C'est peut-être la plus ancienne représentations de ce mode de locomotion. Cependant, dans une cathédrale de Schleswig (Allemagne du nord), une fresque datée de 1289 montrait déjà la déesse nordique Frigga chevauchant un balais … cependant il est possible que ce balais ne soit qu'une quenouille mal dessinée. (> voir)

De 1453 date le plus ancien texte décrivant un homme volant sur un balai : un certain Guillaume Edelin.

Jacques Du Clercq (1448-1467) donne la première description en français du sabbat, qu'il attribue aux Vaudois :
"Quand ils voulaient aller en vauderie (sabbat), ils s'enduisaient d'un onguent que le diable leur avait donné ; ils en frottaient une verge de bois bien petite, et des palmes en leurs mains ; mettaient cette vergette entre leurs jambes, s'envolaient où ils voulaient, et le diable les portait au lieu où ils devaient faire ladite assemblée…"

Nicolas de Cuse (1401-1464) rapporte que lors de ses voyages à travers les Alpes françaises en 1457, il a rencontré deux vieilles femmes qui lui ont dit qu'elles étaient au service de Domina Abundia (Dame Abonde), appelée aussi la "Bonne Maîtresse" ou "la mère de la richesse et du bonheur". Les femmes lui ont parlé également de la "Société de Diane" et de Bona Domina Richella (Bonne Dame Richella) identifiée avec Dame Fortune (Richella quasi Fortuna) et Hulda / Holle.

En 1468, le "Thesaurus pauperum" raconte également ceci :
"… ceux qui, la nuit, exposent ouverts des récipients remplis de nourriture et de boisson destinées aux dames qui doivent venir, Dame Abonde et Satia, que le vulgaire désigne communément et couramment du nom de Dame Percht ou Perchtum, cette dame venant avec sa troupe."

En 1470, Jean Tinctor écrit le "Traité du Crime de Vauderie". Une illustration montre à nouveau une Vaudoise volant sur un balais.

En 1484, le pape Innocent VIII fait paraître la bulle "Summis desiderantes affectibus" dans laquelle il lance le signal de la chasse aux sorcières.
Il s’ensuit une première vague de chasse aux sorcières qui date de 1484 à 1520.

En 1487, Henry Institoris (Heinrich Kraemer) et Jacques Sprenger (Jacob Sprenger) écrivent le "Malleus Maleficarum" ("Marteau des sorcières"), qui fournit des directives pour repérer et éliminer les sorcières. Ce texte affirme que les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence, seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan. Il y est également indiqué que "chevaucher Diane ou Hérodiade, c'est partir avec le Diable qui se donne cette forme et ce nom".

Les procès pour sorcellerie se multiplient alors et ils atteindront un sommet entre 1560-1580 et 1620-1630 en Europe (On remarquera que 80% des personnes condamnées sont des femmes). L’image chrétienne que l’inquisition se fait des sorcières s’impose alors partout : Elles ne sont plus considérées comme de pauvres femmes incultes à l’imagination délirantes mais comme des hérétiques qui rendent réellement un culte au Diable. Seul Satan est sensé leurs donner des ordres et les "Bonnes Dames", Diane, Hérodiade, Abonde, Hulda, etc… sont désormais ignorées.

Une exception cependant, peut-être :
Au Frioul en Italie du Nord, entre 1575 et 1664, des procès sont menés contre les Benandantis ("Bons Marcheurs" qui sont accusés d'hérésie. Les hommes Benandantis, affirment que, "étant nés coiffés" (c’est-à-dire enveloppés dans leur placenta), ils devaient se rendre, quatre fois par an, la nuit, pour lutter "en esprit" (mais sous forme animale), armés de fenouil, contre des sorciers et des sorcières (malandantis) du diable, brandissant des tiges de sorgho. Tout cela se passait dans la vallée de Josaphât et l’enjeu de la bataille était la fertilité des champs. Après "La partie" comme le combat était surnommé, les Benandantis passaient de maisons en maisons à la recherche d’eau pure à boire. Si ils n’en trouvaient pas, ils rentraient dans les celliers renverser les tonneaux, ou en buvaient le vin avant d’uriner dedans. Quand aux femmes Benandantis, elles quittaient leur corps endormi et se rendaient à un grand festin où elles dansaient, mangaient et buvaient avec une procession d'esprits, d'animaux et de fées, et pouvaient apprendre qui parmi les villageois allait mourir l'année suivante. Cette fête était présidée par une femme, "l’Abbesse", qui était assise dans la splendeur au bord d'un puits.

C’est seulement en 1640 que le Parlement de Paris ordonnera la fin des poursuites pour sorcellerie. Il sera le premier corps judiciaire en Europe à agir ainsi … mais il faudra attendre un édit de Colbert, en 1682, pour qu'il soit vraiment interdit dans toute la France de porter ce genre de cause devant les tribunaux.

On peut cependant se poser une question :
Les sorcières ont-elles jamais rendu un culte au Diable, tel que nous nous l’imaginons maintenant ? Ou n’est-ce là qu’une déformation des faits, due à notre culture chrétienne et à la propagande de l'inquisition ?