| Ase | | 5229 messages postés |
| Posté le 17-05-2010 à 01:13:34
| Voici une interview passionnante de Jean Robieux : (Propos recueillis par Benoit Chalifoux et Alain Serres) BC, AS : Cette année marque le cinquantième anniversaire de la fabrication des premiers lasers dans le monde. Votre nom est étroitement associé aux lasers de haute puissance, et plus particulièrement à la fusion par laser, dont vous êtes essentiellement le « père ». Pouvez-vous décrire votre rôle dans cette découverte ? JR : Après mes études à Polytechnique et à l’Ecole de l’Aviation civile, je me suis demandé si j’étais apte à faire de la recherche scientifique. Je me suis rendu en 1951 au California Institute of Technology, où j’ai pris le cours de Simon Ramo, l’un des grands spécialistes des microondes et des ondes radio. Son cours était réputé très difficile, et était entièrement construit sur la résolution d’un problème de portée très générale mais en même temps très difficile, et ce sans que nous ayons droit de nous référer aux manuels existants. C’est lui qui m’a permis de comprendre, alors que j’étais encore très jeune, la joie de la découverte d’une loi scientifique, même si la découverte que j’avais faite pouvait être trouvée dans les livres sur la théorie de l’information. Mais j’étais convaincu que je pourrais faire un jour une découverte substantielle. De retour en France, je me suis retrouvé dans l’Administration de l’aviation civile puis j’ai joint le centre de recherche de la Compagnie générale de télégraphie Sans Fil (CSF). Sous la très forte impulsion de de Gaulle, qui comprenait bien la nécessité pour tout pays d’être à la fine pointe de la recherche scientifique, une autre compagnie très importante, la Compagnie générale d’Electricité (CGE, aujourd’hui Alcatel), décida de fonder un centre de recherche et m’intégra très rapidement dans l’équipe de direction. C’était le 15 février 1961. Après quelques tâtonnements, je cherchais toujours à définir un domaine de recherche entièrement nouveau, demandant un grand effort d’imagination et de créativité. Mais au cours de mes vacances estivales, où j’avais une plus grande liberté, je fus amené à m’intéresser aux phénomènes d’absorption de l’onde optique par des plasmas denses. Je constatai qu’un plasma ayant la densité d’un solide acquérait une fréquence de résonance proche de celle de la lumière visible ou même de l’ultraviolet et pouvait par conséquent absorber une grande partie de l’énergie lumineuse. Les premiers lasers venaient d’être mis au point une ou deux années plus tôt, et même si leur puissance était faible, il s’agissait malgré tout d’une lumière émise sous une forme hautement organisée. Il me vint à l’idée que si un laser puissant capable d’émettre une impulsion de lumière visible et de très courte durée pouvait être orienté sur une très petite sphère, la lumière pourrait ioniser la matière puis la comprimer et la chauffer suffisamment pour déclencher des réactions de fusion nucléaire. Je tenais là le domaine entièrement nouveau que je recherchais ! Une proposition fut transmise au Général le 22 novembre 1962 et il l’accepta aussitôt, contrairement aux américains, qui la trouvèrent sans intérêt. On nous demanda de prendre contact avec la Direction des Applications militaires du CEA, basé à Limeil, qui devint notre client exclusif pour les puissants lasers que nous allions construire dans les années qui suivirent. A Marcoussis, nous construisions les lasers et à Limeil on étudiait leur interaction avec la matière. Dès 1967, nos lasers pouvaient générer une énergie de 500 Kilojoules, tandis que partout ailleurs dans le monde ils ne dépassaient pas une vingtaine de Kilojoules. Une équipe dirigée par le professeur Basov à Moscou avait toutefois initié un travail similaire et avait mesuré, un an avant nous, la présence de neutrons démontrant le déclenchement de réactions de fusion par laser. La France et la Russie étaient alors les deux pays qui étaient de loin les plus avancés. Le mémoire transmis au Général en 1962, un an avant qu’un mémoire similaire de Basov et son équipe fusse soumis aux autorités de son pays, peut toutefois être considéré comme étant la première proposition officielle de recherche sur la fusion nucléaire par confinement inertiel. C’est en 1967 que le Président américain Johnson contacta de Gaulle pour lui demander l’aide de la France dans l’élaboration de lasers de puissance. Le transfert de technologie consenti par la France est à l’origine du programme américain dans ce domaine. BC, AS : Comment de Gaulle percevait-il la science ? JR : De Gaulle avait compris qu’une grande partie de la défaite de 1940 était due au rejet par la France des avancées technologiques des décennies précédentes, en particulier dans le domaine militaire. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser aujourd’hui, de Gaulle ne s’intéressait pas à la science uniquement pour des raisons militaires. De Gaulle était un géant. Il n’avait pas besoin, contrairement aux présidents qui l’ont suivi, de conseiller spécial en matière scientifique, car il pouvait lui même juger de l’intérêt relatif des projets qu’on lui soumettait. Tout arrivait directement sur son bureau, il prenait les grandes décisions lui-même. Il savait toutefois déléguer les choses lorsqu’il s’agissait de mettre ses décisions en application. BC, AS : Après près de cinquante ans de longs et patients travaux, vous êtes convaincu que l’humanité s’approche du moment où elle pourra maîtriser la fusion nucléaire. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous êtes si confiant ? JR : A la suite de ma participation au Congrès international de San Francisco sur la fusion par confinement inertiel et ses applications en septembre dernier [2009, ndlr], j’ai acquis la conviction qu’une centrale de 1 gigawatt utilisant la fusion nucléaire pourra être construite d’ici trente ans, c’est-à-dire en 2040. Mais cela suppose qu’on y mette les moyens, et surtout que l’on réoriente les efforts de la France dans le domaine de la fusion par laser pour la production d’électricité à des fins civiles. Des expériences en vue d’objectifs militaires pourront être poursuivies, mais je ne pense pas que cela devrait être le but prioritaire, comme c’est le cas aujourd’hui. Il y a urgence. D’une part les méthodes actuelles de production d’énergie produisent un réchauffement climatique qui menace la survie de l’humanité. D’autre part nous avons besoin d’une méthode radicalement nouvelle fournissant l’énergie électrique d’une manière abondante, sans pollution, à un coût acceptable, à partir d’un combustible disponible en quantité suffisante partout sur Terre, ce qui n’est pas le cas des combustibles fossiles ni de l’uranium. Pour moi, ce qui compte, c’est d’assurer à l’humanité un approvisionnement en énergie abondant, et d’ouvrir dans notre pays les portes à une source d’emplois importante pour les décennies à venir. La maîtrise de la technologie de ces nouvelles centrales apportera à notre pays un moyen puissant de lutte contre le chômage, et par conséquent de grandes satisfactions humaines et sociales. Le livre de Jean Robieux Le dossier source pour aller plus loin.
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| Ase | | 5229 messages postés |
| Posté le 21-05-2010 à 18:57:02
| Pour continuer cette interview, je vous propose 4 vidéos d'environ 12 minutes chacune : http://www.fusion-nucleaire.tv/
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